E comme économie

E comme économie

MOVING_IMAGE interprète la cinquième lettre de l'abécédaire.

Un abécédaire d'œuvres vidéos, filmiques et multimédias...

Chaque mois, Moving_image propose un éclairage critique et prospectif sur ce domaine aux frontières mouvantes, où convergent à la fois un questionnement esthétique, social et politique de notre époque, et des enjeux liés à l’évolution des modes de production et de diffusion. Transversales et ouvertes, les séances se déroulent en présence d'artistes invités qui parlent de leur travail et de leurs recherches, ainsi que d'intervenants chroniqueurs qui apportent un regard singulier ou décalé sur la séance.

La forme de chaque séance est elle-même questionnée, redéfinie avec les artistes présentés, afin d'explorer d’autres possibilités de relations avec le public présent ou en ligne, la possibilité d’autres modes de réception et d’expérience collective des œuvres.

Un cycle proposé par Nathalie Hénon et Jean-François Rettig.

Alors que l’actualité insiste quotidiennement sur les faits et les principes d’une économie en crise, nous avons voulu voir comment des artistes contemporains abordent et traitent cette notion. Sous l’angle du désir, de l’aliénation et de la transaction, l’économie se révèle être bien plus qu’un simple échange de biens, et apparait comme l’un des principes d’agencement de nos relations. Avec cette séance nous créerons des associations entre différents types d’économie, différentes échelles.   Diego del Pozo Barriuso s’intéresse à la relation entre économie et affects, et à la possibilité d’inventer de nouveaux échanges. Marina Landia interroge de hauts dirigeants de la finance et des politiciens, explicitant différentes catégories de la pensée des affaires et de la mondialisation. Marianne Flotron observe un employeur s’entrainant à licencier ses employés en utilisant le terme de ‘mobilité’. Valérie Bert filme trois individus prisonniers de leur avidité ou de leur désir, jusqu’au moment où l’un d’eux altère le cours des choses. Lawrence Weiner explore le concept de loxodromie. Laura Waddington filme dans les champs autour du camp de la Croix Rouge à Sangatte les réfugiés sans papiers, alors qu’ils essaient de traverser le tunnel sous la Manche.

Diego del Pozo Barriuso : El topo y la Anguila

Animation exp., couleur, 5’02’’, Espagne, 2007           

 "El topo y la Anguila" est une vidéo sur l’échange, le travail affectif, et les relations entre économie et affects. Elle raconte l’histoire de deux groupes de clandestins qui ont inventé un autre type d’économie durant une période de guerre. Les individus qui appartiennent à ces deux groupes choisissent de vivre une existence assez précaire, dans le contexte d’une économie supposée abondante. C’est également l’histoire de deux groupes de personnes anonymes, qui appartiennent à deux classes et deux niveaux de production différents. Ils recherchent des actions subjectives par le biais de l’émancipation de la chaîne des échanges affectifs. Dans la vidéo, la ville, le fleuve, l’île et les réseaux de gens opèrent de façon symbolique et conduisent à réfléchir aux problèmes et aux contradictions de notre temps.


Marina Landia : Enjoy Business. Volume 5

Documentaire exp. , couleur, 15’51’’, Allemagne, 2011

Ce documentaire se base sur des interviews de hauts dirigeants de la finance et de politiciens dans plusieurs pays. L’idée était d’apporter une vision des hautes sphères de la mondialisation en enregistrant et en rendant visible différentes catégories de la pensée des affaires qui l’impacte et la modèle. Alors que les concepts ont été reposés et sont repensés, je recherchais des considérations, des idées, des pensées et des débats plutôt que des affirmations.

En plaçant les problématiques des grandes entreprises et leurs représentants dans un contexte artistique, ce documentaire apporte un point de vue différent de celui des médias, le plus souvent trop spécialisés ou au contraire trop superficiels. Pour la conduite et l’évaluation des interviews, j’ai utilisé la méthode développée pour ma précédente vidéo "Enjoy Business" définie à partir de la théorie du sociologue Ulrich Oevermann de l’Université Frankfort Johann Wolfgang Goethe, fondateur de la méthode de l’herméneutique objective.

Marina Landia est une vidéaste et artiste performeuse vivant  à Londres. Née à Tbilissi, en Géorgie, elle a étudié à la State Academy of Arts de Tbilissi et a travaillé pendant huit ans en tant que décoratrice et costumière pour le Georgia Film Studio. Après avoir immigré en Allemagne, elle a étudié au Institute for Art in Context, à la UDK à Berlin, où elle est maître de conférences depuis 2010. Le principal thème de son travail artistique est l’exploration et l’évaluation critique des grandes tendances sociales, économiques et politiques, travaillant au croisement de l’art et d’autres disciplines en impliquant des personnes de milieu professionnels et culturels différents. En parallèle à son travail artistique, elle a développé plus de 20 projets et workshops interdisciplinaires, en coopération avec différentes institutions en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Russie : Alfred-Toepfer Foundation, Hamburg; Accenture, Moscow ; Wimbledon School of Art, London ; Kulturamt Neuköln, Berlin ; ESMT, European School of Management and Technology Berlin ; Xynteo, Oslo.

Marianne Flotron : Fired

Documentaire exp., couleur, 7’50’’, Suisse/Pays-Bas, 2007

Des sessions d’entrainement sont données aux employeurs pour apprendre à licencier leurs employés. Au premier abord dans cette vidéo, la réalité et le jeu semblent indiscernables. Sommes-nous les témoins d’un jeu de rôle ? Est-ce que l’employeur congédie effectivement son employée ? Ou bien est-ce que tout a été mis-en-scène ? En utilisant des plans en contre-plongée, les images acquièrent un aspect voyeuriste. La vidéo commence par une scène où une employée apprend qu’elle est licenciée. La mauvaise nouvelle est minimisée par un langage sophistiqué : "licenciement" devient "mobilité". De tels jeux de rôle étaient utilisés à l’origine comme outil thérapeutique pour des patients ayant des troubles psychiatriques. Quand celui-ci est appliqué au secteur de l’entreprise, la méthode fige des rôles plutôt qu’elle ne les utilise comme outil d’analyse, induisant la tonalité des comportements sociaux — les profits et pertes de la compagnie deviennent alors le sujet principal.

Marianne Flotron, née à Meiringen en Suisse en 1970, vit et travaille actuellement à Amsterdam. Après deux ans d’études d’histoire à Zurich, elle a continué ses études à l’Ecole des beaux-arts de Genève où elle obtient son diplôme en 2001. De 2007 à 2008, elle a été en résidence à la Rijksakademie voor Beeldende Kunsten à Amsterdam. Elle obtient le Swiss Art Awards en 2003, 2007 et 2009. En 2008, elle reçoit le prix Aeschlimann Corti du canton de Berne. Dans son travail, elle s’intéresse principalement aux interrelations entre les systèmes politiques et économiques et le comportement humain. Comment les sujets créent la société et, en retour, comment la société crée-t-elle ses sujets, est à la base de son travail. Sa première exposition monographique internationale a eu lieu en 2011 à la Kunsthalle de Berne. Parmi les expositions récentes, citons Monumentalisme, Stedelijk Museum Amsterdam (2010), “Motores utopicos, sensores reais” Galeria Quarta Parede, Sao Paulo (2011), Schon wieder und noch mal, Kunstverein Medienturm, Graz (2011). Son travail a reçu le soutien de la Kunsthalle Bern, de la Rijksakademie voor Beldende Kunsten, du Fonds voor Beeldende Kunsten, Vormgeving en Bouwkunst et de la Mondriaan Foundation.

Valérie Bert : Avant le changement d'équipe

Fiction, couleur, 24’, France, 2012

Au travers d’une circulation d’argent, du produit de larcins et de présents entre trois personnages, "Avant le changement d’équipe" est un regard porté sur la notion de valeur, d’économie, d’asservissement et de désir. Dans un appartement, trois personnages (Véra, Alex, Sylvain) vont interagir sous la forme d`un huis clos. Dans ce trio, chacun est interdépendant des autres. Le trio évolue autour de l`échange, et de la valeur attribuée à ce qui est échangé. Véra, vit dans un appartement avec Alex, qui lui tient lieu d’amie/domestique. Les deux femmes se livrent à un commerce étrange avec un homme, Sylvain, qui chaque jour vient leur donner une enveloppe contenant l’argent d’un méfait. Alex doit raconter chacun des larcins en détail à Véra qui rémunère Sylvain deux fois le montant de ce qu’il a volé. Dans ce trio, chacun est lié à l`autre, les individus ne sont là que pour servir le système, prisonniers de leur avidité ou de leur désir. Mais Sylvain en sortant de cette organisation, produit un intervalle, une légère interruption mettant en difficulté le système.

Valérie Bert a d`abord été présente dans le champ de l`art contemporain sous la forme de performances, de pratique multimédia, ou de vidéos. Depuis quelques années, elle travaille plus particulièrement autour de projets de films de format courts et longs. Son travail questionne les notions d`économie, de politique et d`utopie.

Lawrence Weiner : Inherent in the rhumb line

Animation, couleur, 7’, USA, 2005

Avec l'avènement du rhumb (ligne qui maintient une direction, appelée également loxodrome), un modèle cognitif s'est développé dans le monde occidental, lequel a rendu possible les pillages lors des voyages de découverte. "Inhrent in the Rhumb Line" met en scène l'usage indispensable (sans considération pour les conséquences), d'une circonvolution aplanie qui marrie le paysage aux pillages et à la préordination. "Inherent in the Rhumb Line" est un film d'animation muet de 7 minutes.

Figure majeure de l'Art conceptuel, Lawrence Weiner, né à New York en 1942, vit et travaille à New York et Amsterdam. Au début des années soixante, Lawrence Weiner crée des sculptures avec des explosifs, peint des séries d’hélices, de découpages de rectangles. En 1968, il abandonne la peinture et publie "Statements", vingt-quatre énoncés d’images visuelles, une théorisation de l’art conceptuel. Il construit le langage comme un objet, le conçoit comme le véhicule rationnel et social de toute communication. Il définit des propositions conceptuelles, des mots qui font toujours référence au matériau. Il formule ses propres lois : il peut matérialiser l’œuvre ou la vendre à un "réceptionnaire" qui lui-même décidera de la réaliser ou non. Ses projets linguistiques radicaux sont parfois filmés, accompagnés de modes d’emploi, de commentaires.

Depuis ses travaux précurseurs des années 1960 et 1970 jusqu'à ses nouveaux projets numériques, Weiner redéfinit radicalement la relation entre artiste et spectateur et la nature même de l'œuvre d'art. En parallèle à son travail de publication de nombreux ouvrage, Weiner a réalisé de nombreux films et videos, notamment "Beached" (1970), "Do You Believe in Water? " (1976), et "Plowman’s Lunch" (1982).

Des grandes exposition personnelles ont été consacrées au travail de Lawrence Weiner au Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Washington (1990), Institute of Contemporary Arts, Londres (1991), Dia Center for the Arts, New York (1991), Musée d’Art Contemporain, Bordeaux (1991 et 1992), SFMOMA Museum of Modern Art, San Francisco (1992), Walker Art Center, Minneapolis (1994), Museum of Art, Philadelphia (1994), Museum Ludwig, Cologne (1995), Deutsche Guggenheim in Berlin (2000), Museo Tamayo Arte Contemporáneo in Mexico City (2004), et à la Tate Gallery, Londres (2006). En 2007, le Whitney Museum of American Art a organisé la première grande rétrospective aux Etats-Unis consacrée au travail de l’artiste.

Laura Waddington : Border

Documentaire, couleur, 27’, Royaume-Uni/France, 2004

En 2002, Laura Waddington a passé plusieurs mois dans les champs autour du camp de la Croix Rouge à Sangatte avec des réfugiés afghans et iraquiens qui essayaient de traverser le tunnel sous la Manche pour rejoindre l’Angleterre. Filmé entièrement de nuit avec une petite caméra vidéo, ‘Border’ est un témoignage personnel sur le sort des réfugiés et la violence policière qui a suivi la fermeture du camp.

"Pendant les journées, si vous vous baladiez le long des autoroutes et des terrains vagues, vous pouviez voir des réfugiés partout: attendant au bord de la route ou se dirigeant vers le port et les trains de marchandises. Ils se déplaçaient en groupe de deux ou trois, parfois de vingt ou trente.
La nuit venue, je marchais à leurs côtés le long des routes. Il fallait deux ou trois heures pour rejoindre le grillage du tunnel sous la Manche où ils commençaient à couper les haies métalliques. Puis, venaient les arrestations, le bus de la police les ramenait au camp. Ils réapparaissaient quelques heures plus tard et le jeu pervers du chat et de la souris reprenait. La plupart des réfugiés venaient d’Irak et d’Afghanistan et il leur avait fallu six ou sept mois pour atteindre la France. Ils avaient payé des passeurs pour les faire traverser clandestinement l’Iran, la Turquie et les Balkans dans des camions. Beaucoup  parmi eux n’avaient rien d’autre à part leurs habits. Dans leurs pays, ils avaient été enseignants, professeurs, étudiants en médecine et maçons. Certains hommes sont morts dans le tunnel, d’autres ont perdu un bras ou une jambe, coupés par un train en marche. Je me souviens d’un garçon qui avait perdu une jambe. La même semaine qu’il était sorti d’hôpital, il était sur la route, cherchant à nouveau à s’enfuir. Les mois se sont écoulés dans une sorte de limbe. Je ne pouvais pas croire qu’on les avait abandonnés là-bas, comme si nous leur avions tourné le dos." Laura Waddington

Née à Londres en 1970, elle a étudié la littérature anglaise à Cambridge avant de s’installer à New York puis Paris où elle a réalisé ses premiers courts-métrages et des vidéos. Son travail a été présenté dans de nombreux festivals internationaux, parmi lesquels Locarno, Rotterdam, Montréal, Edimbourg, New York Video Festival, Film Society of Lincoln Center, sur ARTE et dans des musées tels le Musée Reina Sofia à Madrid et le Walker Arts Center à Minneapolis. Elle a reçu de nombreux prix. Des focus et des rétrospectives ont été consacrés à son travail notamment au 51e Festival international du court-métrage d’Oberhausen, au 41e Festival international du film de Pesaro et dans "Vidéo et après : Laura Waddington" au Centre Pompidou. Elle travaille actuellement sur un projet de livre.